Ca y est, depuis le 20 novembre 2017, le parlement a entériné la restauration du jour de carence dans la fonction publique en cas d’arrêt maladie (en vigueur à partir du 1er janvier prochain)
Or, selon une récente étude de l’Insee, le jour de carence appliqué en 2012 et 2013 a réduit « fortement » les absences pour raisons de santé de deux jours, mais augmenté celles de longue durée pour les fonctionnaires.
UNE MESURE ANTISOCIALE ET INÉGALITAIRE SOUS PRÉTEXTE D’ÉGALITÉ
Le gouvernement actuel a donc décidé de réinstaurer le jour de carence pour les fonctionnaires. Rappelons que cette mesure qui prive les salariés d’une journée de salaire à chaque arrêt maladie a été instaurée par la droite dure de Sarkozy en 2012 puis supprimée par Hollande en 2014. Fausses idées simplistes, « bon sens » et soi-disant « pragmatisme », la réalité est une volonté du gouvernement de faire des économies sur le dos des fonctionnaires, en plus du gel du point d’indice. Le SNUipp-FSU 01 vous propose une petite cure de désintox :
Fausse idée numéro 1 : le jour de carence s’applique dans le privé, c’est normal qu’il s’applique dans le public…
Réponse : Si le jour de carence s’applique dans le privé, il ne concerne que 34 % des salariés. 64,4% ne sont pas concernés car ils disposent d’une prise en charge totale par leur prévoyance entreprise et 2,1 % ont une prise en charge partielle. Car une grande partie des entreprises prennent en charge les jours de carence de leurs salariés. Il s’agit donc d’appliquer aux fonctionnaires le même traitement que celui d’un tiers des salariés du privé les moins bien protégés, et cela, au nom de l’égalité ! La bonne mesure serait assurément de trouver une solution pour la minorité des salariés du privé non protégés plutôt que de dégrader la situation des fonctionnaires. C’est là une vieille méthode libérale que de dégrader les conditions de travail d’une partie des salariés en s’alignant sur le moins disant, au nom de l’égalité…
Fausse idée numéro 2 : le jour de carence est nécessaire car les fonctionnaires, et encore plus les enseignants sont plus absents que les autres salariés d’où la nécessité du jour de carence pour les remettre au pas….
Réponse : Selon la DEPP, la durée moyenne du congé maladie ordinaire (CMO) est de 6,6 jours par enseignant ce qui est inférieur à la moyenne de la fonction publique (7,1 jours). Parmi les ministères au plus fort nombre, signalons les services du premier ministre (10,2), la Justice (8,7), l’Intérieur (8) et… le ministère du travail (8,5). Les enseignants sont-ils plus absents que les salariés du privé ? Une étude de la DARES (ministère du travail) de février 2013 a calculé le taux d’absentéisme par branche professionnelle. Ce taux est de 3,2 % pour les enseignants soit moins que la moyenne nationale (3,6 %). Les taux les plus élevés se trouvent dans le bâtiment ou la santé. D’une façon générale, le taux varie selon le niveau de souffrance physique ou psychologique au travail et selon la catégorie sociale. Les ouvriers sont trois fois plus absents que les cadres. Des réalités qui résistent aux leçons de morale…
Fausse idée numéro 3 (entendue dans les cours de récréation) : le jour de carence permettra de sanctionner les collègues qui « abusent »…
Réponse : Le jour de carence s’appliquera à tous dès la première journée d’arrêt maladie. Ce sera donc la perte d’un trentième de traitement pour tous. Cela viendra donc fragiliser les collègues malades avec des pathologies importantes, comme ceux ayant la grippe ou une gastro… Le raisonnement simpliste « moi, je ne suis jamais malade alors je m’en fiche » n’offre aucune garantie sur la possibilité d’être malade, voire gravement malade dans l’avenir…
Fausse idée numéro 4 : le jour de carence ne concerne que les arrêts maladie d’un jour.
Réponse : C’est faux, il s’appliquera à tout arrêt maladie, d’un jour, deux jours, trois et plus.
Le vrai motif du rétablissement c’est évidemment l’économie que le gouvernement en attend.
La mesure est censée rapporter 400 millions (sur 12 mois) selon la Cour des comptes. Le gouvernement souhaite récupérer 5 milliards en 2017. Le gel du point d’indice de la Fonction publique permettra d’économiser, selon la Cour des comptes, 2 milliards sur 12 mois. C’est dire que le gouvernement est bien décidé à faire des économies sur le dos des fonctionnaires. On est encore loin des 5 milliards. La Cour propose encore le gel de l’avancement, les suppressions de postes ou l’augmentation du temps de travail. Affaire à suivre…
Le Président de la République a justifié sa proposition par le principe de l’équité entre salariés du public et du privé. « Je restaure le jour de carence, je l’ai dit et je porte cette mesure parce qu’il y a une protection légitime en matière d’emploi quand on est fonctionnaire : on a un devoir de neutralité, une indépendance et donc des protections légitimes. Mais ces protections légitimes, elles ne justifient pas d’avoir des droits exorbitants. »
Restaurer le jour de carence serait donc une mesure d’équité ? Mais le candidat ajoute à l’intox une savoureuse volte-face. Car en mai 2015, lors de l’examen de la loi Macron (c’est une coïncidence), Roger Karoutchi, sénateur LR, avait déposé un amendement pour remettre trois jours de carence dans la fonction publique… Et c’était le ministre de l’Economie de l’époque, un certain Emmanuel Macron, qui s’était opposé à la proposition lors des débats parlementaires, déroulant l’argumentaire qu’on peut lui objecter aujourd’hui : « Tout d’abord, si l’on examine de près la situation des salariés du privé, on s’aperçoit que les deux tiers d’entre eux sont couverts par des conventions collectives qui prennent en charge les jours de carence. » Donc, « en vrai », comme disent les enfants, la situation n’est pas aussi injuste que celle que vous décrivez », assurait le ministre. Et de conclure que ce n’était pas « une bonne mesure ».
Amusante plasticité d’Emmanuel Macron, capable, sur le même sujet, de faire de la désintox en 2015 et de l’intox deux ans plus tard.